Le 19 juillet, nous avons effectué l'étape reliant Annecy au Semnoz. La dernière étape difficile de ce Tour 2013 : une fois cette étape terminée, il ne nous restera plus que l'étape des Champs Elysées à effectuer. L'ambiance était décontractée : après les étapes qu'on venait de faire, on savait que le menu du jour ne serait qu'un obstacle supplémentaire à franchir avant le bonheur. J'ai quand même fait passer plusieurs fois le message afin d'inciter mes compagnons à se méfier du Semnoz : cette montée est surprenante, on ne s'attend pas à une telle difficulté.
On est parti de l'hôtel avec pas mal de retard sur l'horaire prévu. J'avoue que ce retard m'a rendu fou : plus tôt on commençait, plus tôt on terminait. Je bouillonnais d'impatience sur le parking. J'avais hâte d'en finir non pas car je n'aime pas les alpes, mais parce que j'avais hâte de découvrir les Champs Elysées. J'avais également hâte de vraiment savourer notre "victoire".
© Mickael Bougouin
On a rejoint la ligne de départ à vélo. 5 kilomètres de descente et plat pour remettre en route doucement. Quand on a passé le cap des 3000 kilomètres en 3 semaines, on n'est plus à 5 kilomètres près. Même avant une étape de montagne ! Les premiers kilomètres, à plat le long du lac, ont été fait tranquillement. On a savouré ce moment de calme, tout en se décontractant musculairement : les 200km et les 5 cols de la veille pesaient encore lourdement dans les jambes. A un feu rouge, un couple d'asiatiques nous a pris en photo. On leur a fait signe de venir se mettre au milieu de notre groupe, j'ai pris leur appareil et les ai photographié. L'esprit du Tour de Fête, c'était aussi cette communion avec le public. J'y reviendrai une prochaine fois.
© Mickael Bougouin
Dans la première montée, la côte du puget, je me suis replacé vers l'avant. J'avais sélectionné le col des prés pour y faire mon fractionné quotidien en allant y jouer les premiers rôles. Je voulais faire cette première montée tranquillement pour me décrasser de l'étape de la veille. Un peu après le pied, Vincent a attaqué. J'ai fait l'effort pour lui revenir dessus : on est parti à deux, j'étais proche de la rupture dans sa roue. JB est revenu progressivement : j'étais face à deux gros morceaux, je n'avais aucune chance en cas de sprint en haut. J'étais obligé de passer à l'offensive pour me débarrasser d'eux. C'est ce que j'ai fait à mi-pente, dans la partie la plus dure : je suis parti seul, l'écart s'est fait rapidement. JB est revenu au train, sans se griller. A 1km du sommet, il a profité du seul petit replat de la montée pour passer le gros plateau et s'envoler. Je n'ai rien pu faire, il était le plus fort. Au sommet, je suis redescendu chercher les derniers, comme toujours.
© Mickael Bougouin
Ayant fait mon effort quotidien, j'ai repris mon rôle préféré de capitaine de l'arrière-garde. Dans la montée de Leschaux et dans le col des Prés, le gruppetto était bien plus important que d'habitude. L'étape de la veille avait marqué les organismes, beaucoup étaient sur la réserve et ménageaient leurs efforts. Plus le groupe est nombreux, plus c'est difficile de veiller sur tout le monde. Quand on est 4 ou 5, un petit coup d'oeil derrière permet de voir tout le monde. Quand on est 10, il y a des personnes qui masquent l'arrière du groupe.
La montée du Revard m'a fait mal. Lors de la reconnaissance, il m'avait scotché. Il est un peu long (16km) mais pas très pentu (5,6%). Il est pile dans le pourcentage que je n'aime pas : jusqu'à 4% c'est suffisamment roulant pour que je puisse exploiter mes capacités de rouleur, à partir de 6% ça grimpe suffisamment pour que je puisse exploiter mes capacités de grimpeur ... mais entre les deux, j'ai toujours du mal ! J'ai encadré l'arrière-garde en donnant conseils et indications, mais je n'étais moi-même pas au mieux. Les encouragements que je donnais étaient autant à destination des autres qu'à ma propre destination.
© Mickael Bougouin
On a fait notre pause repas à La Féclaz, aux 2/3 de la montée du Revard. Il faisait frais, la pluie menaçait. On a mangé avec nos k-way pour nous maintenir au chaud. On a repris notre route normalement. Deux kilomètres plus loin, une spectatrice dans une tenue bizarre a failli nous faire tomber. Le groupe dans lequel elle était devait être bien éméché, car il s'y est passé des choses étranges qui ne se racontent pas aux personnes mineures. La série de photos faites par le photographe, qui s'était posté ici par hasard, est assez éloquente. Ca a alimenté nos conversations sur le vélo jusqu'à la fin de l'étape, puis lors du repas du soir.
© Mickael Bougouin
La pluie a fait son apparition quelques minutes dans la descente du Revard. La chaussée n'était pas glissante, tout s'est bien passé. On a fait une descente prudente. Certains étant moins à l'aise que d'autres en descente, le peloton s'est scindé en deux. Je me suis arrêté pour attendre les derniers afin de les aider à rentrer une fois la descente terminée. J'ai également profité de cet arrêt pour enlever mon k-way qui ne me serrait plus utile dans la montée du Semnoz.
© Mickael Bougouin
On a franchi le pont de l'abîme, un pont dont la hauteur du vide sous le parapet a de quoi faire peur. Si vous tombez ici, vous n'avez aucune chance de vous en sortir vivant. Ca a le mérite de rappeler que face à la montagne, on est tout petit. Face à un grosse montée, on a toujours les pieds (ou les roues) sur le sol, on ne se rend pas vraiment compte de la différence d'altitude. Mais au dessus d'un ravin, on se rend bien compte de ce que représente 100m de dénivelé.
On est arrivé au pied du Semnoz. La dernière montée de ce Tour. 11km de montée à 8,5% de moyenne se présentait devant nos roues. J'avais à la fois hâte d'arriver en haut, de me dire que toutes les difficultés étaient franchies et qu'il ne restait plus qu'une étape "bain de foule", une procession pour célébrer notre victoire. J'avais également envie que le temps se suspende, que la route dure éternellement, je n'avais pas envie que cette aventure se termine.
© Mickael Bougouin
Dès le pied de la montée, le groupe a volé en éclats. Il faut dire que dès le premier kilomètre des passages à 11% ont fait une sélection naturelle. Chacun à pris son rythme de croisière. De l'arrière, j'ai vu filer les personnes les unes après les autres, mètre après mètre, coup de pédale après coup de pédale, chacun allait chercher son graal. Je suis toujours resté avec le dernier afin de l'aider. Des paroles simples pour le rassurer, quelques informations utiles, des encouragements, des blagues pour changer les idées. En plus de 3000 kilomètres, j'ai appris toutes les ficèles qui permettent d'aider quelqu'un sans le pousser pour autant.
© Mickael Bougouin
Dans les 5 derniers kilomètres, on entendait le tonnerre gronder au loin. Il ne pleuvait pas, on ne voyait pas les éclairs, nous n'avions que le bruit de roulement de tambour du tonnerre. Plus on montait, plus le roulement de tambour se rapprochait et s'intensifiait. J'ai glissé plusieurs fois à Eric : "écoute, ce sont les applaudissement de la montagne qui acclame notre exploit". On est arrivé au sommet. On a mis plus de temps que les autres, mais on a prolongé le plus longtemps cette belle aventure et ce face à face avec la montagne. Nos compagnons nous ont accueillis avec une haie d'honneur. Ils nous attendaient tous, ça m'a touché.
En me ravitaillant, et malgré la pluie qui tombait depuis quelques minutes, j'ai pris le temps de serrer la main de chacune des personnes de l'encadrement. Notre réussite est fortement liée à leur présence : sans eux et sans leur travail de l'ombre, nous aurions beaucoup plus galéré. J'ai tenu à les remercier un par un, et leur dire qu'eux aussi avaient réussi le Tour.
© Mickael Bougouin
Pendant que je faisais ma tournée, une partie des cyclistes a couru en boxer sur le parking. Sur le "vrai" Tour, il y a des supporters qui courent en slip à côté des coureurs. Sur "notre" Tour, ce sont les coureurs qui ont couru en slip à côté des supporters ! Les personnes stationnées le long de la route, en attente du passage des professionnels, ont halluciné.
On a replié le matériel, rangé nos affaires et on a pris la route en direction de Versailles. Je suis monté dans le bus en dernier. Tout le monde était assis à sa place. J'ai félicité chaque personne les unes après les autres. La descente en bus a été incroyable : ça a été la fête. On hurlait nos cris de guerre, la musique passait à fond. Je ne sais pas comment a fait notre chauffeur pour rester concentré, car c'était le bordel complet ! Du bonheur à l'état pur !
Bilan : 137km, 7h30 de selle, 3300m de dénivelé, 122bpm en moyenne.
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