Il y a quelques semaines, l'UCI (Union Cycliste Internationale) a annoncé que les oreillettes seraient progressivement bannies des courses. Le motif évoqué par l'UCI est de vouloir redonner du spectacle, des attaques, de l'incertitude ... et de rendre les coureurs moins "robotisés" en les forçant à prendre des initiatives (et non plus d'attendre les consignes du directeur sportif).
Je ne suis ni favorable ni opposé au projet de suppression des oreillettes, et la suite de cet article n'a pas pour but de démontrer en quoi cette réforme est nécessaire ou absurde. Tout d'abord, je vais rappeler que les oreillettes concernent uniquement une petite minorité des cyclistes : seule la crème des coureurs coure avec une oreillette. Comme c'est uniquement eux qu'on voit à la TV, certains lecteurs non-cyclistes pourraient penser que toutes les catégories (y compris le bas de l'échelle, dont je fais partie) porte un appareil électronique ... c'est faux ! Je dirai que seuls 5% des coureurs sont concernés par le débat, ce qui explique pourquoi peu de monde en parle..
Le véritable but de cet article est de mettre en garde les spectateurs lambda : ne croyez pas que le fait de supprimer les oreillettes va révolutionner le cyclisme, comme semble le promettre l'UCI.
1 - Je trouve qu'affirmer que les coureurs sont "robotisés" et obéissent aux ordres du directeur sportif est très réducteur. Pensez-vous que, lorsqu'un directeur sportif ordonne à un coureur d'attaquer, celui-ci le fait toujours et réussit à s'échapper ? Assurément non : le coureur va certes tenter d'attaquer ... s'il n'est pas déjà à fond ! Et entre vouloir attaquer et s'échapper, il y a encore un grand pas à faire ...
2 - Quand je regarde les récits des courses, et que je vois le nombre de coureurs qui font des fringales comme celle de Sylvain Chavanel sur le tour de France cet été : il avait beau avoir une oreillette et un directeur sportif expérimenté dans la voiture juste derrière lui, il a oublié de se ravitailler ! Si on regarde le tour d'Espagne de cette année, lorsque Cadel Evans est victime d'une crevaison, tous les favoris ont annoncé à l'arrivée "avoir pensé qu'il avait craqué physiquement" et ne pas avoir été informé de ce fait de course ... (j'ai du mal à croire ça). Le fait de ne pas avoir d'oreillettes aurait-il permis à Sylvain Chavanel de gagner l'étape, ou à Cadel Evans de gagner la Vuelta ?
3 - Quand on compte le nombre de bordures qu'il y a eu sur les courses en 2009 (dont 2 sur le tour de France), il y en a peut-être moins qu'il y à 30 ans quand il n'y avait pas d'oreillettes (je n'étais pas né à cette époque et fais donc confiance aux spécialistes qui l'affirment), mais il y en a plus qu'il y a 5 ans (alors qu'il y avait les oreillettes). Je pense plutôt que c'est la force des équipes qui dicte cette pratique : pour faire une bordure (à ce niveau sportif), il faut que les conditions météorologiques le permettent, que l'équipe soit forte et soit habituée à travailler cet exercice. Je pense que si les bordures ont été abandonnées, ce n'est pas la faute des oreillettes mais plutôt du fait que les équipes n'étaient préparées ni physiquement ni tactiquement pour une telle manoeuvre, et n'en effectuaient donc pas ! Je constate que ce sont toujours les mêmes équipes qui créent des bordures : je suppose que ces équipes travaillent spécifiquement ceci lors des stages.
4 - Penser que les tactiques de course vont changer du jour au lendemain, et que les favoris vont se lancer dans de longues échappées, est utopique ! Le cyclisme moderne est un cyclisme où les coureurs pensent d'abord à ne pas perdre la course et non pas à la gagner ! Regardez le déroulement des courses à étape ces 5 dernières années : les coureurs n'attaquent jamais et annoncent toujours avoir peur d'une défaillance dans l'étape du lendemain ... même quand ce n'est qu'une étape de 150km toute plate qui les attend le lendemain. Il y a tellement d'argent en jeu (direct, et indirect telles que les retombées médiatiques à long terme pour le sponsor) et de pression qu'aucun coureur n'ose effectuer une attaque au long cours qui pourrait lui faire perdre ensuite la course. Gagner une course avec un mètre ou une seconde d'avance est suffisant, peu importe le panache qu'on a montré pour gagner ce mètre ou cette seconde. L'histoire ne retient que le nom du vainqueur, jamais celui de l'animateur qui a échoué dans sa tentative.
5 - Lors des étapes de plaines, au cours desquelles le peloton joue au chat et à la souris avec les échappés, il est connu que les directeurs sportifs indiquent les écarts en temps réel au peloton afin de leur indiquer précisément l'allure à laquelle rouler afin d'absorber l'échappée au moment idéal. Tout le monde critique ce jeu, qui se dénoue dans 95% des cas par une victoire du peloton à 5km de l'arrivée ... mais sans oreillettes, pensez-vous vraiment que le peloton va laisser la victoire aux échappées, et que le spectacle va être meilleur ? Quand l'échappée résiste, en connaissant grâce à l'oreillette le fait qu'il y ait un mince espoir de victoire pour elle, et se fait reprendre dans les derniers hectomètres, le suspense est génial ! Sans oreillettes, le peloton va prendre une marge plus confortable et avalera les échappées à 15km du but ... les échappés pensant que la victoire leur est interdite se relèveront comme ils le font régulièrement à l'heure actuelle (le sponsor étant passé 3h en direct à la TV, c'est suffisant). Finalement, selon moi, il n'y aura moins de suspense qu'actuellement ...
Sans être ni pour ni contre la suppression des oreillettes, je ne pense pas que cette mesure n'apporte ce pour quoi elle a été officiellement voulue : non, il n'y aura pas plus de spectacle ! La faute à ce manque de spectacle en revient, selon moi, à la fois à un nivellement du niveau des coureurs (quand on regarde les écarts entre les 5 ou 6 premiers sur les grands tours, c'est très serré, preuve que les meilleurs coureurs étaient au même niveau), et à la fois à un professionnalisme trop poussé dans lequel l'image des sponsors passe avant tout et qui impose de ne surtout pas perdre une course. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : je n'ai jamais affirmé ni pensé qu'il fallait supprimer les sponsors ! Le foot (sauf le championnat français qui est morose), le rugby, le hand, le basket ... réussissent parfaitement à proposer du jeu tout en ayant des sponsors, preuve que les 2 peuvent parfaitement se mélanger.
Bonne analyse, bien détaillée.
RépondreSupprimerMais au-delà du spectacle (attirant ceux qui ne s'intéressent au vélo qu'une fois dans l'année, 3 semaines en juillet ;-)) qui ne sera pas forcément "amélioré", je pense que la suppression des oreillettes rendra leurs responsabilités aux coureurs... aujourd'hui pas mal partent sur des courses sans même repérer l'étape du jour, les ravitos, le profil, les pièges... parce qu'ils auront l'info au moment voulu par l'oreillette.
Je ne trouve pas ça bien normal, et si on retire un peu "d'assistanat" dans le cyclisme moderne en enlevant les oreillettes je suis 100% pour.
Après savoir si les coureurs attaqueront plus ? je pense comme toi que ce ne sera pas vraiment le cas, les coureurs prenant de moins en moins de risques tant le nivellement est important.
Je n'aime pas paraphraser M. Prudhomme, mais il a raison en disant qu'il faut redonner l'initiative aux coureurs, et non aux directeurs sportifs...
Personne n'a jamais dit que les oreillettes changeaient la course du tout au tout. Bien sur que certaines choses resteraient les mêmes mais le peloton aurait déjà plus de mal à régler son allure de manière précise pour rentrer sur les échappés suffisamment tôt pour être sur de les reprendre et suffisamment tard pour qu'aucune autre échappée ne puisse se former. Les coureurs auront plus de mal à s'entendre, à lancer la chasse pile quand il faut, les informations n'étant pas immédiates, laisser partir une échappée sera plus hasardeux et il y aura plus de course de mouvement, on pourra plus souvent (pas tout le temps) sortir du schéma échappée km 0, course léthargique, chasse, sprint.
RépondreSupprimerLa minorité de cyclistes concernée est de plus la minorité qui passe à la télé, vitrine de notre sport, si ça ne donne pas une certaine importance, je ne vois vraiment pas ce qu'il faut.
Je suis d'habitude plutôt d'accord avec ce qui est dit sur ce blog, mais là ... pas du tout, il ne faut pas caricaturer, ni dans un sens, ni dans l'autre. Il ne faut pas dire que la suppression des oreillettes va tout révolutionner mais de là à dire que rien ne va changer, il y a un pas que je ne franchirai pas.
@Rodolphe : je ne suis pas certain que beaucoup de leaders arrivent sur les courses sans connaissance du sujet. En revanche, il est vrai que les "porteurs d'eau", ne doivent probablement pas regarder ce qui les attends étant donné qu'ils doivent aller chercher des bidons ou rouler en tête de peloton quand le directeur sportif le demande dans l'oreillette.
RépondreSupprimer@Anonyme : il est évident que le peloton va avoir plus de mal à adapter son allure afin de revenir au dernier moment sur l'échappée. Je l'ai dit moi aussi, mais je pense que du coup il va s'assurer une plus grande marge, quitte à devoir maintenir le tempo plus longtemps ensuite pour éviter de se faire déborder dans le final ... c'est mon avis personnel, et je comprends parfaitement le tien qui diverge. Je croise les doigts, pour le spectacle, pour que tu ai raison.
En revanche, quand tu dis que le schéma actuel des étapes de plaine c'est "échappée au km 0, course léthargique, chasse, sprint", je ne suis pas complètement d'accord : c'est effectivement le cas depuis 2007 ... mais souviens toi que jusqu'en 2006 (compris), ils bastonnaient pendant 2h comme des dingues avant que l'échappée ne sorte ! En 2007, je me souviens parfaitement que tous les spécialistes attribuaient ce changement soudain d'attitude à la lutte anti-dopage.
Enfin, quand j'ai dit que le débat ne concernait que l'élite, ce n'était pas un reproche envers cette élite, qui je te l'accorde est la vitrine de notre sport, celle qui fait rêver les gamins (moi y compris). Je disais que ce débat concerne peu de coureurs afin d'expliquer le fait que peu de monde en parle et qu'il est donc difficile de trouver des infos à son sujet.
En tout cas, ce qui est sur, c'est qu'au C de France, il y eu une belle attaque et qu'il n'y avait pas d'oreillette.
RépondreSupprimerQuand le peloton explose, comme c'est svt le cas en montagne, l'oreillette permet peut être d'éviter à certains de se faire complètement piéger. Là il y aura une absence totale de repères, cela peut être intéressant.
Cela dit, je suis absolument d'accord avec le fait que cette suppression ne va pas radicalement changer le cours des courses pro. Ce qui pourrai changer la donne, c'est l'absence de dopage ^^
Merci flo pour cette article
Bert
Et si le peloton revient trop tôt, c'est toute la beauté du final qui sera ressuscitée : les équipes de sprinters devront maintenir un rythme infernal pour que personne ne tente de sortir, lorsqu'ils veulent rattraper une échappée, le rythme est encore à peu près humain mais quand ils veulent verrouiller les derniers kilomètres, ça devient très dur.
RépondreSupprimerC'est vrai que de temps en temps le schéma ne suivait pas tout à fait la caricature que j'en ai faite et ça donnait des étapes intéressantes mais hélas, la grande majorité des étapes des années 2000 (écrasante majorité même) ont un final attendu.
Je reste optimiste sur la suppression des oreillettes, les coureurs devront se mettre d'accord pour la chasse, ne pourront plus être téléguidés, on verra ça quand l'interdiction sera effective.
C'est sur que le fait que le peloton revienne trop tot va permettre de déclencher une seconde course de mouvement : une fois la longue échappée reprise, il est probable que des coureurs "frais" viennent jouer les trouble fête dans les derniers kilomètres. Le spectacle, si les équipes de sprinteur ne s'allient pas correctement, risque effectivement de valoir le coup d'oeil.
RépondreSupprimer@Bert : c'est vrai que le spectacle des championnats de France, sans oreillette, était intéressant. Si toutes les courses en ligne devenaient comme ça, c'est sur que ce serait intéressant.